Panne d'innovation chez les grands industriels des vaccins
Développer des vaccins contre de nouvelles maladies s'avère coûteux, risqué et peu rentable. Dans ce contexte, les géants du secteur hésitent à sortir des sentiers battus.
Un milliard et demi d'euros en R&D et 350 millions d'euros d'investissements industriels. C'est le montant dépensé par Sanofi pour le Dengvaxia, son vaccin contre la dengue. Et pourtant, ses ventes n'ont pas dépassé les 3 millions d'euros en 2017 et la production a été suspendue l'année suivante, faute de demande, alors même qu'un besoin de santé publique existe. Cet échec, qui tient à la fois à la science, à la politique internationale et à Sanofi lui-même , est emblématique de l'ampleur des risques pris par les industriels pour développer des vaccins innovants.
De manière générale, on estime à un milliard de dollars le coût de développement moyen d'un vaccin. Soit autant qu'un médicament. « Le produit doit être parfaitement sûr puisqu'il sera administré à des gens en bonne santé, qu'il ne doit en aucun cas rendre malades », rappelle David Loew, patron de l'activité vaccins de Sanofi. Or, peu de vaccins ont l'étoffe de blockbusters (un milliard de dollars de venets annuelles) susceptibles de rentabiliser l'investissement en R&D.
Poussées épidémiques
En effet, les grandes maladies infectieuses des pays développés font déjà l'objet de vaccins. Ou bien, comme le sida ou la tuberculose, ce sont des cibles trop complexes au plan scientifique. P our les maladies des pays en développement, il n'y a pas forcément de marché solvable à la clé, comme on l'a vu avec Dengvaxia de Sanofi. Quant aux programmes de financement publics, ils offrent des prix trop bas par rapport aux coûts de production, sans parler de rentabiliser les dépenses de R&D.
En outre, pour les maladies émergentes comme Ebola, le Chikungunya ou Zika les poussées épidémiques sont entrecoupées de périodes de quasi-disparition de la maladie, qui rendent la réalisation des essais cliniques longue et difficile.
« C'est pourquoi 80 % des vaccins en développement chez les grands acteurs du domaine sont, soit des me-too, soit des produits de seconde génération, soit des combinaisons », affirme Thomas Lingelbach, PDG de Valneva. De plus petite taille, ce spécialiste des vaccins vise lui par contre des marchés plus restreints. Valneva développe ainsi un vaccin contre la maladie de Lyme (marché potentiel de 700 à 800 millions d'euros), un contre Zika, et un autre contre le Chikungunya. M ais à usage des voyageurs (marché potentiel de 500 millions d'euros), ce qui lui permettra de demander un prix rémunérateur. Quitte à accorder ensuite une licence à un fabricant indien par exemple qui le produira à bas coût pour la population locale, comme Valneva l'a déjà fait avec son vaccin contre l'encéphalite japonaise.
Nouveaux pathogènes
Chez les grands acteurs en revanche, difficile donc de sortir des sentiers battus. John Shiver, directeur de la R&D de Sanofi Pasteur, reconnaît l'importance dans la R&D de ce qu'il qualifie de « gestion du cycle de vie des produits ». De fait, après l'arrêt du projet contre le clostridium difficile, une infection nosocomiale, seuls 3 projets sur 15 ciblent des pathogènes nouveaux : le RSV, impliqué dans les bronchiolites des nourrissons (2 approches différentes) et l'herpès. Les projets HIV-Sida et la tuberculose étant menés dans le cadre de programmes impliquant différents participants et bénéficiant de soutiens publics.
La situation chez GSK n'est pas très différente avec, si l'on exclut les programmes à soutien public (HIV, Ebola, tuberculose), seuls trois nouveaux pathogènes sur une quinzaine de projets : le Rotavirus et le RSV impliqués dans les bronchiolites et deux bactéries impliquées dans la bronchite chronique (BPCO) . « Ces deux bactéries sont responsables de 25 à 50 % des crises aigues, explique Jean-François Toussaint, directeur de la recherche pour les vaccins chez GSK. Nous accélérons sur ce projet car les résultats de phase II sont très encourageants ».
Les vaccins de demain
Parmi les pistes explorées par les fabricants de vaccins pour renouveler leur portefeuille, certains s'intéressent à de nouvelles catégories de patients. C'est le cas de GSK qui, pour immuniser les nourrissons dès la naissance contre le RSV, veut vacciner les femmes enceintes. C'est aussi le cas de Pfizer qui s'est attaqué aux infections nosocomiales. Au-delà, c'est le concept même de vaccin qui pourrait évoluer, avec la possibilité de vaccins non plus prophylactiques mais thérapeutiques dans le cadre de l'immunothérapie des cancers. Une révolution pour les grands du vaccins, déjà un peu amorcée avec le concept d'« immunisation élargie » promu par Sanofi dans sa quête d'un vaccin universel contre la grippe. Il s'agirait ici d'atténuer les symptômes plutôt que d'empêcher l'apparition de la maladie.